Bon ! Là ça suffit ! Je ne ferai pas un autre préambule pour ceux qui ne suivent pas encore ! (Ce n’est pas ce que je suis en train de faire en tous cas). Lisez les billets précédents pour comprendre de quoi il s’agit.
La Gothique et le Geek
Dès qu’ils sont entrés dans le restaurant, j’ai eu l’impulsion d’aller les voir pour leur expliquer comment se rendre à l’Auberge du Dragon Rouge. J’ai d’ailleur été consterné quand ces deux étranges revêtant des habits médiévaux romantico-quétaine m’ont dit qu’ils avaient réservé une table pour la Saint-Valentin. Je les ai escorté et en arrivant à la table, j’ai presque eu envie de leur demander si je devais enlever les ustensiles. Je sais pas moi, peut être qu’ils voulaient jouer le tout pour le tout et manger du sanglier dans des gamelles armés d’une cuillère et d’un canif. Je me suis même dit, toujours dans le but d’égayer leur soirée, que je devrais peut-être remplacer leurs verres pour des seaux. Dans la station de servicetous mes collègues se moquaient un peu d’eux.
Ils étaient tellement souriants, tellement contents d’être là. Ils n’étaient vraiment pas très jolis, ni l’un ni l’autre, mais il n’avait pas vraiment l’air de le constater et semblait encore moins se rendre compte que ce n’était vraiment pas tous les clients qui portaient une tenue médiévle… Toutefois, ils avaient vraiment l’air amoureux.
Je ne sais pas comment ils font ces gens-là, j’ai parfois l’impression qu’ils ne sont jamais sorti du secondaire. Ils trouvent toujours le moyen d’avoir les cheveux gras, ou tout aplati à cause de la tuque. Ils ont ou un trou entre les dents, ou la machoire trop avancée ou il porte des broches à 30 ans. Ils trouvent toujours le moyen de porter une ceinture en cuir trop longue qui fait plisser la taille de leur pantalon trop grande et ils ont toujours un pan de chemise qui est mal rentré. Quand on leur parle, s’ils n’ont pas de défauts de langue, ils ont les voix les plus insupportables. Ça nasille par-ci, ça zozote par-là, ça bégaye d’un bord ou ça marmonne de l’autre. Et quand ils se frenchent, ils y mettent toujours trop de salive, comme si c’était la première fois.
J’ai commencé le service, ils n’ont rien pris de très extravagants, mais ils ont tout aimé et ils étaient très gentils; très reconnaissants. J’ai commencé à discuter avec eux. Ils étaient montréalais. Ils venaient tout juste de revenir de San Francisco où ils avaient vécu 4 ans. Il y travaillait comme ingénieur informatique dans une grosse boîte. Elle avait terminé ses études doctorales en je ne sais plus trop quoi, mais là elle était invitée à enseigner à la Sorbonne. Lui devait se rendre à Paris pour y implanter un nouveau bureau pour sa compagnie. J’oublie un peu les détails, mais disons que côté carrière, ça roulait.
On a parlé beaucoup. Ils étaient super gentils, très brillants, ultra cultivés et ils sont parvenus à faire tomber mes préjugés. Ils m’ont même donné leurs adresses courriels si je voulais venir les visiter à Paris. (si vous saviez le nombre d’endroit dans le monde où je pourrais être hébergé… ça arrive tout le temps quand t’es serveur. Mais je ne suis pas certain qu’ils aient vraiment envie de me voir débarquer un jour. «Allô ? C’est ton serveur de y a 5 ans… je m’en viens ! »)
Ce soir-là, en enfilant mes jeans signés dans le vestiaire des employés un peu crade, j’ai repensé à eux. Je me regardais, super fringué, dans la glace sale qui n’avait sans doute pas été lavé depuis l’ouverture du restaurant et j’ai vu toute ma coolness. J’ai regardé où j’en étais rendu dans ma vie à 28 ans et j’ai ressenti un peu de détresse.
D’accord, je ne comprends toujours pas pourquoi on irait au restaurant habillé en costume médiéval. Pour être honnête, je ne comprends juste pas à quel type d’occasion un costume médiéval peut bien seoir. Je n’ai jamais non plus été très carriériste ou quoique ce soit, mais avoir un bon travail c’est toujours agréable. Je ne pourrai jamais supporter non plus d’être mal embrassé (surtout quand on est bien embrassé comme je l’ai été ces derniers temps).
Je n’ai pas beaucoup de regrets et je suis relativement fier de ce que j’ai accompli. J’ai peut être fait le choix d’être cool. Ce n’est pas le meilleur des choix de vie à long terme, mais je m’en suis quand même bien sorti. Ils ont fait des choix stratégiques et se sont rendus au bout de leurs aspirations. C’est un bon choix. Un bon choix qui ne pourra toutefois jamais excuser leur fashion faux pas.